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Le repas à Emmaüs (1601)
Les commandes abondent ! En 1601, il peint pour un collectionneur privé, une première version du « Repas à
Emmaüs », encore un autre chef d’œuvre !
Ce tableau représente une scène des évangiles qui raconte l’apparition du Christ (après sa mort) à deux de ses
disciples sur le chemin d’Emmaüs. Caravage retient la version où il est indiqué que le Christ apparaît « sous d’autres traits » et que les yeux des disciples
« étaient empêchés de le reconnaître ».
Le moment décrit est celui où les yeux se décillent.
Le disciple de droite reçoit cette révélation comme un choc qui lui fait écarter les bras comme pour se
retenir quand on tombe à la renverse. Son mouvement nous englobe et nous interpelle en même temps. Remarquons au passage l’extraordinaire habileté technique de Caravage pour
peindre ce personnage - les bras en particulier - dans une perspective écrasée, exagérant la taille de la main droite (dans une perspective respectée ou sur une photo,
elle serait parue trop petite). MANTEGNA s’était déjà exercé (en 1480) à ce type de représentation avec une perspective raccourcie sur le corps du Christ. Il avait dû également
augmenter considérablement la taille de la tête du Christ.
Mantegna aussi bien que Caravage ne sont pas des peintres « photographiques ». Ils n’hésitent pas à
transformer la réalité quand cela leur permet de « peindre plus vrai ».
L’autre disciple est presque de dos. La stupéfaction le fait bondir de sa chaise. Son coude « vient
buter » sur le plan du tableau. La vigueur de cet effet est accrue par le tissu déchiré. On voit peu son visage, c’est son mouvement qui compte. Il est là pour servir d’exemple
au spectateur et l’entraîner avec lui dans sa réaction émotive.
La présence de l’aubergiste est massive. C’est le seul qui est debout. Il semble étonné et
attentif à la scène qui se déroule sous ses yeux. Il représente les fidèles qui adhèreront à la religion du Christ par la suite. Son ombre se mêle à celle du Christ pour la
même raison.
Le Christ est représenté en position centrale comme dans la Cène de Leonard de Vinci. Il rompt le pain
et le bénit, geste qui déclenche la reconnaissance chez les apôtres. Il est imberbe, comme sur les images des premiers temps du christianisme, représentation abandonnée depuis
des siècles à l’époque de Caravage. Ce choix permet au peintre de rendre inhabituel le visage du Christ pour ses contemporains du 17e siècle et de se conformer à l’indication
des évangiles qui précise qu’il apparaît « sous d’autres traits ».
La table est garnie. On y voit le pain et le vin qui symbolisent l’Eucharistie, mais aussi une
insolite corbeille de fruits en déséquilibre sur le bord de la table et un poulet.
Caravage a été pendant un temps le spécialiste des corbeilles de fruits. Il montre sa virtuosité en
la réalisant. En l’installant en déséquilibre il incite, inconsciemment, le spectateur à percevoir un instant de rupture. Elle participe donc à la psychologie du
tableau.
Le poulet fait partie des tables garnies dans la peinture d’Europe du Nord ou peut-être est-il là
pour satisfaire aux préférences picturales du commanditaire ?