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  le blog alain Barré

Un peu de poésie dans ce monde de brutes, un peu de réalité dans la poésie !

La Dodoche du pépé à Jean ROUAUD

 

Qui un jour, dans sa vie, a piloté une 2CV ne peut qu'être ému à la lecture des pages que lui a consacré jean ROUAUD, dans « les champs d'honneur », prix Goncourt en 1990. La 2CV du grand-père est l'héroïne méritante des trente premières pages : cabossée, rouillée et prenant l'eau de toutes parts surtout par sa capote usée jusqu'à la corde. Jean Rouaud nous fait vivre au rythme trépidant de ce curieux hybride qui tient à la fois de la voiture à cheval et du karting. On sillonne les routes autour de Saint-Nazaire sous la pluie fine ou le crachin dans les camaïeux cendrés du ciel bas et de la mer. Si vous ne connaissez pas cet ouvrage, précipitez-vous à la médiathèque ou dans votre librairie habituelle ! À lire absolument, au coin du feu, ou dans son lit, assis sur la plage ou à la terrasse d'un café (situation que je préfère). Luxe suprême, vous pouvez aussi le déguster en vous asseyant sur la moelleuse (sic) banquette d'une 2CV. Oui, Il en existe encore, pour cela adressez-vous au club local des nostalgiques de la « Dodoche » !

Pour vous mettre en appétit, ou plutôt « l'eau » à la bouche, voici quelques passages :

« Quand il pleuvait à verse, ce qui ne constitue pas une anomalie au bord de l'Atlantique, la 2CV ballottée par la bourrasque, ahanant contre le vent, prenant l'eau de toutes part, tenait du caboteur délabré embarqué contre l'avis météo sur une mer trop grosse. La pluie s'affalait sur la capote dont on éprouvait avec inquiétude la précarité, tonnerre roulant, menaçant, qui résonnait dans le petit habitacle comme un appel des grands fonds. Par un, puis plusieurs trous microscopiques de la toile se formaient à l'intérieur des lentilles d'eau qui bientôt grossissaient, s'étiraient, tremblottaient, se scindaient et tombaient à la verticale sur une tête, un bras, un genou, ou, si la place était libre, au creux d'un siège, jusqu'à former par une addition de petites rigoles une petite mare conséquente qu'il ne fallait pas oublier d'éponger avant de s'asseoir.... »

La description du pépé allumant sa clope tout en continuant la conduite hasardeuse de son rudimentaire véhicule vaut également son pesant de mégots !

«  De fait il fumait bien son champ de tabac à lui seul, allumant chaque cigarette avec le mégot de la précédente, ce qui, quand il conduisait, embarquait la 2CV dans un rodéo improvisé. Le mégot serré entre le pouce et l'index de la main droite, la cigarette nouvelle au coin des lèvres, il fixait attentivement la pointe rougie sans plus se soucier de la route, procédant par touches légères, tirant de petites bouffées méthodiques jusqu'à ce que s'élève au point de contact un mince filet de fumée. Alors la tête rejetée en arrière pour ne pas être aveuglé, bientôt environné d'un nuage dense qu'il balayait d'un revers de la main, il soulevait du coude la vitre inférieure battante de la portière, jetait le mégot d'un geste vif et, toujours sans un regard pour la route, donnait un coup de volant arbitraire qui secouaient les passagers en tous sens... »

A la lecture de ce passage je pense que tous les amoureux de la dodoche se souviendront avec émotion de la vitre inférieure battante qui vous retombait immanquablement sur le coude à chaque cahot un peu violent !

Une dernière citation, un dernier petit passage pour la route ! Il concerne les essuie-glaces de la dodoche. Couplés au moteur, ils faisaient toujours défaut aux pires moments, surtout quand il pleuvait à verse par exemple et quand la visibilité était nulle au sommet d'une côte !

« ...Comme il (le grand-père) roulait au ralenti, les essuie-glaces couplés au moteur se déplaçaient à la vitesse de limaçons baveux, par soubresauts millimétriques, parfois se bloquaient, marquaient une pause, et il fallait donner du poing sur la vitre pour qu'ils reprennent en demi-cercle leur lente marche avant-arrière. Ils dessinaient sur le pare-brise des éventails crasseux qui produisaient l'effet inverse de celui qu'on attendait... »

Jean ROUAUD, Les champs d'honneur, éditions de Minuit, 5,30 €.

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J
 <br /> Hummmm...<br /> ce blogue, cher Alain, est vraiment une mine de voyages et de bons conseils honnêtes.<br /> Merci, mais ça, je l'ai probablement déjà dit...<br /> jl
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L
c'est un délice la lecture de ces extraits ! et l'on y retrouve toutes les impressions de cette légendaire voiture, la première de mes virées avec une copine qui avait la chance d'en posséder une, j'avais 20 ans , belle époque !.
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A
bonsoir Lafanchon,<br /> Eh bien tu salueras ce grand orfèvre de la langue française qu'est Jean ROUAUD de ma part ! c'est de la belle ouvrage, du cousu main si on peut dire çela pour la langue....<br /> cordialement<br /> alain
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L
Un vrai régal que ce livre, de plus l'auteur vit près de nous désormais, village dans lequel il a passé toute son enfance.<br /> Pour les essuie-glaces, je me souviens en avoir perdu un sous une pluie battante, de ces pluies torrentielles dans le midi.
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