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  le blog alain Barré

Un peu de poésie dans ce monde de brutes, un peu de réalité dans la poésie !

Le jeu de la mort

La télé a repris hier soir une expérience de psychologie que Stanley MILGRAM avait mené de 1960 à 1963, à l’époque du procès Eichmann, le haut fonctionnaire nazi chargé de la déportation des juifs. Comment comprendre que des hommes ordinaires, ni malades mentaux, ni fous, aient pu commettre des crimes aussi extraordinaires, l’extermination programmée de tout un peuple, le peuple juif ?

Milgram recruta donc des candidats pour participer à l’expérience, mais sans leur dire réellement de quoi il retournait. Ils devaient administrer des chocs électriques de plus en plus violents quand le sujet d’une expérimentation sur la mémoire se trompait. En réalité il s’agissait d’une « expérience de leurre » et il n’y avait pas de chocs électriques, le sujet en expérience était un acteur qui mimait la douleur.

Suivant les conditions de l’expérience, de 49 à 62% des participants sont allées jusqu’à infliger des chocs électriques de 450 volts ! Milgram en concluait que l’origine du mal nazi était trouvée et que l’on pouvait être très pessimiste sur la nature humaine.
DACHAU-copie-1.jpg 

Faut-il le suivre dans cette conclusion ? En réalité, on sait aujourd'hui qu'Eichmann n’était pas qu’un « fonctionnaire zélé qui ne faisait qu’exécuter les ordres » comme il aimait lui-même se présenter à son procès.  Eichmann était un nazi convaincu et un antisémite notoire bien avant les camps ! Contrairement à ce que soutient H. Arendt, tout le monde ne peut pas devenir un bourreau ! Pour exécuter des ordres de barbarie il faut réunir plusieurs conditions :

1     1- Avoir la conviction morale que ce que l’on fait est juste

2     2- Avoir conscience de se trouver dans une situation exceptionnelle où il faut réagir de manière exceptionnelle,

3     3- Considérer l’autre comme un étranger, un « barbare », qui ne peut rien avoir de commun avec nous.

Les massacres de masse commis depuis l’horreur nazi, au Rwanda, à Srebrenica ou ailleurs, remplissent ces conditions et confirment ces hypothèses. Alors comment interpréter l’expérience de Milgram et sa réédition médiatique d’hier soir ?

L    1- Les candidats ont la conviction qu’ils font quelque chose de moralement juste. Dans l’expérience de Milgram : faire progresser la science, pour la télé : participer à un jeu respectable sur une chaîne responsable du service public (qui, de plus, n’est pas là pour faire que du fric !)

2    2- Ils ont conscience de se trouver dans une situation exceptionnelle : une émission de télé, destinée à des millions de téléspectateurs  dont certains sont physiquement présents dans la salle.

3    3- La victime (qui est en réalité un acteur) leur est réellement étrangère et l’expérimentation prévoit qu’il n’y ait pas de contacts personnels entre eux (elle n'est pas visible, enfermée dans une cabine).

Par contre, dans le cas de l'émission télé, la pseudo victime n’est pas considérée comme un « barbare » à éliminer comme l’étaient les juifs pour les nazis convaincus ou comme les Tutsi pour les génocidaires Hutus.
Cette différence fondamentale explique que de 38 à 51 % des participants refusent d’infliger des décharges de 400 volts (pourcentages de l’expérience de Milgram et une vingtaine de pourcents pour le jeu télé).  Par comparaison, il faut se souvenir que dans les camps nazis, on ne parle pas (à ma connaissance) de défection des gardiens !

Il ne faut donc pas désespérer de la nature humaine, même s’il est passionnant de voir comment ce genre d’expérience nous en fait toucher les limites. Au passage remarquons qu'elle nous montre, justement, qu’il existe bien une « nature » humaine. C'est-à-dire que l’homme n’est pas un pur produit de la culture commandé seulement par sa raison. Nous sommes le produit d’une nature et d'une culture en interaction mais la première nous a été léguée par plusieurs millions d'années d'évolution et la seconde seulement par quelques milliers. L'ange et la bête sont présents en nous et si nous sommes mis en porte-à-faux, en position de faiblesse ou piégés dans dans certaines situations -comme dans cette expérience de leurre- la "bête" en nous peut s'imposer facilement. Ce n'est pas la télé en soi qui est le problème, ni la science. Une fois pris dans un piège, la mécanique psychologique s'enclenche inexorablement. Il faut parfois savoir fuir ceux qui encouragent la "bête" en nous (voir les 3 conditions de la barbarie), en particulier ceux qui veulent nous faire croire que l'autre, l'étranger est forcément un barbare !

 

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N
<br /> Bonsoir Alain, je n'ai pas regardé cette émission, mais je suis toujours étonnée par les situations qui font perdre à certains leur pellicule d'humanité. Quand je vois des personnes oublier<br /> qu'elles sont humaines pour un simple poste de manager, ça me dépasse totalement.<br /> Bon dimanche!<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Merci Jacques pour ce commentaire et ce rapprochement avec l'Algérie. Il y a eu des atrocités commises en Algérie mais il ne s'agissait évidemment pas d'un génocide ! Les atrocités accompagnent<br /> toute guerre et dans les deux camps (y compris des nationalistes algériens du FLN envers les autres nationalistes algériens !)...<br /> Hannah ARENDT a d'immenses mérites mais elle s'est laissée abusée par les déclarations de EICHMANN. Ce dernier n'était pas qu'un fonctionnaire zélé et obéissant, c'était un antisémite et<br /> un nazi militant et convaincu (comme le montre des recherches historiques récentes) bien avant les camps ! On ne devient pas bourreau (seulement) par hasard : il y a bien l'engrenage des<br /> circonstances, des évènements exceptionnels et les faiblesses de la nature humaine (bestialité est pris ici dans le sens commun, d'atrocité), mais il y faut également une volonté, un engagement<br /> personnel, une conviction et cela ressort en grande partie d'un choix, de la part que nous avons de liberté<br /> !... <br /> ab <br /> <br /> <br />
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G
<br /> Dommage, cette confusion de la "bête" et du mal.<br /> Vieux relent judéochrétien ?<br /> Il faudrait redessiner les contours de l'animal "humain.<br /> <br /> Je me reconnais plus dans le pessimisme de Harendt.<br /> <br /> Et quelle suffissance chez le réalisateur et les producteurs de l'émission de prétendre fustiger la téléréalité en faisant de la téléréalité qui serait, elle, et consciente et pédagogique.<br /> <br /> Aliénation à double fond. Ils ne sont point au-desus de leur merde !<br /> <br /> PS. Je me suis refusé à regarder "l'expérience"; certaines situations en Algérie — il n'y a pas que les Nazis, les Rwandais et autres — ayant suffi à mon éducation.<br /> <br /> <br />
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A
<br /> Merci Urbain, pour avoir donner ton opinion. Les spectateurs n'étaient évidemment pas présents dans l'expérience originelle de Stanley MILGRAM. Hier soir, il s'agissait à la fois de faire<br /> connaître  une expérience scientifique (ce qui me paraît intéressanst) et de gagner des points d'audience d'une manière raccoleuse (le titre, la façon de présenter) ce qui me paraît beaucoup<br /> plus discutable !<br /> L'expérience de Milgram essayait d'apporter des éléments de réflexion pour comprendre comment des gens apparemment ordinaires peuvent se transformer en bourreaux. Les conclusions de Milgram et de<br /> Hannah Arendt ont été remises partiellement en question depuis, mais elles ont fait progresser les choses. On pense aujourd'hui que Les 3 conditions que j'ai citées doivent être réunies.<br /> ab<br /> <br /> <br />
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U
<br /> Bonjour Alain<br /> Et quid des spectateurs ?<br /> Et des spectateurs présents lors de l'enregistrement de l'émission<br /> Combien protestent ?<br /> Combien s'en vont ?<br /> Faute de pouvoir réagir de façon active, la seule attitude digne restante est la fuite : ne pas regarder, et ainsi faire baisser le triste niveau à l'Audimat<br /> Je n'imagine pas qu'on puisse participer à cela, aussi peu que ce fut<br /> Bien cordialement<br /> Urbain<br /> <br /> <br />
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