28 Mars 2008
Dans son roman « neige », Orhan PAMUK met en scène les contradictions qui agitent la société turque. Aux frontières Nord-Est du pays, dans la ville de Kars bloquée par la neige, s’affrontent le pouvoir en place et les diverses tendances qui bouillonnent dans la société :
- Les représentants de l’état, laïcs et nationalistes. Ils sont les héritiers du pouvoir centralisé et
occidentalisé créé par Ataturk en 1923 et plutôt coupé du reste de la population.
- L’armée, gardienne des idéaux de la révolution kemaliste, et qui est toujours prête à rétablir l’ordre
au prix d’un coup d’état !
- Les islamistes modérés qui sont tolérés par le pouvoir mais surveillés.
- Les islamistes intégristes qui sont pourchassés.
Le héros de "Neige" passe d’un milieu à l’autre (cela lui est rendu possible par sa double position de poète et de journaliste venu enquêter sur les suicides de Kars). Il nous fait comprendre, de l’intérieur, les bonnes et les mauvaises raisons de chacun. Nous rencontrons ainsi, Muhrat, son ami d’enfance avec qui il a milité dans des cercles marxistes autrefois. Muhrat s’est converti à l’islam sous l’influence d’un cheikh réputé. En réalité, il est passé d’un guide à un autre. Il se présente aux élections municipales pour le compte du parti islamiste et devrait être élu ce qui ne l’empêche pas de se faire copieusement tabasser par la police locale ! Nous entrons dans l’intimité des jeunes filles de Kars qui exigent de pouvoir porter le voile à l’école (débat qui nous rappelle quelque chose en France, mais la constitution turque n’est-elle pas largement inspirée de la constitution française ?). Nous rendons une visite secrète à Lazuli, un terroriste connu et médiatisé.
Nous sommes plongés au cœur de la marmite de l'ancien empire ottoman et Orhan Pamuk, l’auteur,
ne nous donne pas de clé pour en sortir.
Un roman social et politique passionnant dans lequel il faut prendre le temps d’entrer. Tout se déroule en trois jours mais le temps est très « labyrinthique » chez Pamuk et il nous balade dans les rues enneigées de kars avec de brusques accélérations savamment orchestrées. Il mélange les styles et les formes de narration. L’on sent des influences très variées, celle de Faulkner par exemple.... Un livre incontournable à lire avant un voyage en Turquie si l'on ne souhaite pas se cantonner à la découverte des sites archéologiques.
Orhan Pamuk ne prend pas parti, il se contente de faire un état des lieux (romancé et sous une forme dramatisée). Pour comprendre si une issue est possible et mieux voir les macros évolutions de la société Turque, il nous faut changer de point de vue et chausser les lunettes de l’économiste. C’est cette vision que nous offre l’essayiste Guy SORMAN dans son ouvrage : les enfants de Rifaa....