1 Septembre 2014
L'actrice Karène Merveilleux de l'Atelier Création Spectacles, lit le témoignage de Soizic Françoise Queveau
Ce n'est pas la vieille dame que je suis devenue qui voulait vous parler ce soir mais la petite fille de 5 ans que j'étais lors de ce 26 aout 1944 car cette journée ne s'est jamais effacée de ma mémoire. Tout avait commencé après le déjeuner, on nous a habillés, nous les enfants, comme pour aller à la plage sauf qu'à la place de nos maillots on nous a mis des manteaux. Chez nous, nous ne sortions jamais tous ensemble, quelqu'un devait toujours rester pour garder l'hôtel, mais, là bizarrement toute la famille : mes 3 sœur, maman et mes deux neveux, tout le monde est sorti ensemble et la porte est restée ouverte derrière nous ; Dehors la chaleur était écrasante, sur les quais les gens au lieu de vaquer çà et là, allaient tous dans la même direction, tout cela était étrange mais pas encore inquiétant. Cependant, mon neveu Claude qui avait 3 ans et moi devions sentir la tension qui régnait car nous nous tenions tranquilles essayant de trottiner aussi vite que nous pouvions près des adultes qui se hâtaient. Arrivés sur le môle quelle ne fut pas ma surprise de voir tous ces gens assemblés et il en arrivait toujours. A première vue c'était comme une grande fête mais tout le monde avait l'air si inquiet, certaines personnes pleuraient, des adultes qui pleuraient ce n'était pas du tout normal ! Et puis maman dit quelque chose d'ahurissant « s'ils commencent à tirer je me jetterai à l'eau » j'étais stupéfaite, je me disais : pourquoi veut-elle se jeter à l'eau, elle ne sais pas nager » çà c'était effrayant ! J'entendais des mots inconnus : otages, mitrailleuses, Oradour, près de nous quelqu'un dit « ils vont fusiller les otages ».
Maman était très angoissée et disait « votre père n'est pas rentré, pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé, quand ils appelleront les otages ils vont s'apercevoir qu'il n'est pas là, c'est terrible ». Ma sœur Jeannette dit qu'elle allait se présenter à sa place et fila sans écouter les protestations de maman qui se mit à pleurer. Heureusement elle revint très vite disant « ils ne prennent pas les femmes seulement les hommes ». Moi je ne comprenais pas je trouvais que c'était très bien que papa ne soit pas là, il ne serait pas fusillé ! Mais toute la famille avait l'air si bouleversé. (Bien plus tard je compris que le fait qu'il soit absent aurait confirmé les soupçons de Meyer qui le « pistait » depuis quelque temps et qu'il aurait été fusillé de toutes façons) Peu après une amie de Jeannette, Jeanine Pacaud, qui habitait près de l'endroit où avait lieu l'appel des otages vint nous dire que papa était arrivé et avait pris sa place parmi les otages. Maman toute pâle, toute tremblante devait s'asseoir, il n'y avait aucun siège près de nous, elle étendit son manteau par terre pour s'asseoir dessus et ça c'était incroyable, maman si soigneuse, poser son manteau sur le sol dans la poussière c'était vraiment incroyable. Un peu plus tard, j'aperçus un petit morceau de papier qui dépassait du coussin sur lequel mon neveu Jean-Yves était couché dans sa poussette, je tirai dessus et sortis triomphalement un billet de banque, je reçus immédiatement une gifle de la part de ma sœur, je ressentis un affreux sentiment d'injustice : quand on trouve un billet on devrait être récompensée et pas punie, tout allait décidément de travers ce jour-là, tous mes repères volaient en éclats, Je ravalais cependant mes larmes. Et puis tout-à-coup d'énormes bruits, tout le monde était terrifié et Jeanine, notre messagère, arriva en larmes disant : « c'est votre hôtel qui a sauté et qui brûle on voit des flammes de ce côté là » la famille était atterrée mais moi je n'y croyais pas du tout, Je pensais que c'était tout simplement impossible : notre hôtel ne pouvait pas être détruit. D'ailleurs, la nouvelle arriva bientôt jusqu'à nous : c'était la maison Pollono, située derrière l'hôtel Rue de Nantes, actuellement rue Foch qui avait sauté et qui brûlait. Après, j'ai surtout le souvenir d'une attente interminable, de la chaleur et de la soif puis, petit-à-petit, l'atmosphère sembla se détendre, on apprit que nous pourrions rentrer chez nous…