Les paysans ont rarement le temps d’écrire sur leur vie et peut-être encore plus si leur langue maternelle est le breton. Jean Ropars a recueilli les souvenirs d’une paysanne bretonne. Ils couvrent une partie importante du XXe siècle, avant et après la guerre 39-45. La vie rurale, le partage des tâches hommes/femmes, l’éducation religieuse des enfants et le poids excessivement lourd de la religion sont rendus avec une précision remarquable,
Voici un premier passage :
“La messe du dimanche, les vêpres, le bavardage entre femmes nous tenaient lieu de loisirs. C’était notre cinéma ! Il y avait aussi les pardons, où nous attendaient de nombreux jeunes gens. Ces jours-là, nous jouissions d’une assez grande indépendance (...) Aux pardons, on se sentait heureux et libres. Enfin presque. Car il fallait compter avec quelques vieilles personnes qui nous épiaient avec insistance. Des dénonciateurs en puissance, capables d’aller rapporter aux parents avec quel jeune homme on nous avait vu parler. Je redoutais, comme nous toutes, le jugement de mon père. Et si le jeune homme ne lui convenait pas ?
(...) On ne s’ennuyait pas dans ces fêtes paroissiales. Sans arrêt à discuter, à casser la croûte entre jeunes gens, à se faire courtiser.
(...) On rentrait à l’heure, autant pour la parole donnée à nos parents que pour la traite des vaches.”
Le deuxième passage évoque la condamnation virulente des bals qui pourraient porter atteinte à la vertu des filles :
“L’obsession majeure des prêtres restait le bal. Le bal, répétaient-ils, menait au péché. Au cours de la réunion des enfants de Marie, les prêtres nous exhortaient à ne pas fréquenter les salles de fête. Quelques jeunes filles se rendaient malgré tout en cachette au bal de Saint-Renan, s’exposant à une dénonciation. La nouvelle se répandait en effet dans le village comme une traînée de poudre. Un quelconque journalier du presbytère le rapportait bien vite à M. le recteur ou à sa bonne.”
Il n’y a pas que les bretonnes qui avaient interdiction de se rendre au bal. Dans mon village de Vendée, mon cousin et son ami, de retour de la guerre d’Algérie, organisèrent un bal au profit de ceux qui étaient encore sous les drapeaux. Le curé prit sous son bonnet, en signe de pénitence, d'arrêter les cloches pendant huit jours. Cela se sut au loin et les gens se moquèrent de lui jusque dans les villages d’alentour.
Ce livre est un témoignage passionnant sur la manière dont on vivait dans les campagnes au siècle dernier. Il montre aussi l’emprise extraordinaire -pour le meilleur et pour le pire- de l’église sur la population paysanne de cette époque. Mais il m’a fait penser aussi à l’emprise de l’idéologie communiste dans d’autres milieux et encore plus en URSS et dans les pays de l’Est. Hélas, je crois que toute idéologie, y compris celles à venir, même avec les meilleures intentions du monde, possède en elle les germes de telles dérives.