



Un peu de poésie dans ce monde de brutes, un peu de réalité dans la poésie !
La psychologie évolutionniste a entrepris une lutte frontale contre ces 3 façons de penser (le bon sauvage, la table rase, le fantôme dans la machine) largement implantées dans la culture française. C’est sans doute pour cela qu’elle a tant de difficulté à pénétrer dans notre pays, au point qu’en faculté, elle n’est pas enseignée en tant que telle, mais sous l’appellation « d’éthologie comportementale ». L’éclairage qu’elle apporte nous serait pourtant d’une grande utilité pour relativiser quelques grandes idées à la française, parfois bien décollées de la réalité. Sans rejeter entièrement Descartes et Rousseau, on peut s’inspirer utilement de Spinoza et Pinker.
Pour la psychologie évolutionniste, 3 grandes idées sont à retenir :
1- notre cerveau n’est pas différent, par nature, de celui des autres espèces animales. Il est le résultat de l’évolution des espèces qui ont précédé la nôtre.
2- Nous partageons beaucoup de ressemblances physiques mais aussi psychologiques, avec certains primates comme les chimpanzés, les bonobos,
3- Les structures biologiques propres du cerveau humain, nous permettent d’avoir des capacités de décision, de jugement, d’anticipation qui nous libèrent, en partie, de la dictature de l’instinct (c’est aussi le cas, mais dans une faible mesure pour les primates qui nous sont proches).
Nous sommes donc bien un produit de l’évolution et déterminé par nos gènes mais ce déterminisme n’est pas absolu. Il s’agit
d’une contrainte qui pèse sur notre volonté mais des capacités de libre choix existe. Nous ne sommes pas aussi libres que le dualisme de Descartes le laisserait supposer mais plus libres
que ne le voudrait la théorie du gène égoïste de DAWKINS (pour ce dernier, nos gènes utilisent notre corps et notre cerveau pour se reproduire, nous sommes essentiellement des
« véhicules » pratiques pour leur prolifération). Entre ces deux extrêmes, une théorie passionnante se développe sans que la recherche hexagonale n'y participe ! Les rares ouvrages
en langue française sont des traductions, sauf pour Lucy VINCENT, docteur en neurosciences d’origine anglosaxonne, qui a choisi la France par amour d'un chercheur français ! Ses ouvrages de psychologie évolutionniste sur
l’amour, le coup de foudre,.. ont connu un grand succès et des rééditions en collection de poche.
On ne se défait pas aussi facilement de plusieurs siècles de dualisme et de croyances excessives dans le pouvoir de l’esprit et de l’éducation !
La table rase : cette expression est peu connue en France, elle provient plutôt des débats internes au monde anglo-saxon. Des philosophes (Locke, Berkeley et Hume : http://www.fse.ulaval.ca/chrd/Theories.app./historiq.htm ) et des psychologues (Watson et Skinner : http://www.fse.ulaval.ca/chrd/Theories.app./theorie.htm#skin ) mettent l’accent sur l’idée qu’à la naissance, notre cerveau est comme une table rase, ce que nous allons vivre, nos expériences, nos apprentissages, vont la remplir. Le représentant le plus brillant de ce courant de pensée, aujourd’hui, est James McClelland et sa théorie connexionniste que j’ai présenté dans ma chronique du lundi 26 mai 2008 : http://www.alain-barre.com/article-19745084.html ).
Pour Pinker, cette orgueilleuse posture qui placerait l’homme au-dessus des autres espèces animales, est contredite par les faits : une nature humaine existe bien avec des nuances importantes entre les femmes et les hommes et l’on ne peut pas transformer l’homme à sa guise comme si cette nature n'existait pas (à l'instar des dictatures communistes qui voulaient créer « l’homme nouveau »). L’exemple préféré de Pinker est celui du langage. Le langage ne s’apprend pas par un simple « bain de paroles » cher aux adeptes de Françoise Dolto et aux adeptes du conditionnement, il est déjà préprogrammé dans le cerveau du bébé. Des structures, que l’on peut comparer à une sorte de précablage, sont déjà en place et n’attendent que les stimulations extérieures pour s’épanouir ! (le titre, provocateur, du premier ouvrage de Pinker est « l’instinct du langage » : http://www.carnetpsy.com/archives/ouvrages/Items/cp55e.htm )
La dernière illusion est celle du « fantôme dans la machine » : de nouveau la tradition philosophique
française est dans le collimateur. DESCARTES, notre grand Descartes a popularisé l’idée que nous ne sommes pas « un » mais « deux » : la machine, c'est-à-dire
notre corps et l’esprit, l’âme qui l’habite, invisible comme un fantôme, mais qui l’anime (bien entendu, pour Descartes, les animaux ne sont que « machines ») !
Cette idée du dualisme
corps/esprit, traverse les siècles et habite toujours la culture française. À peu près à la même époque un grand philosophe, toujours trop peu connu en France : SPINOZA, prônait,
au contraire l’unicité de l’homme. Les sciences modernes donnent largement raison à Spinoza. L’un des plus grands chercheurs actuels, le neurobiologiste d’origine portugaise Antonio
DAMASIO, en a fait le titre de l’un de ces ouvrages à succès : « l’erreur de Descartes » ! le dualisme, en nous séparant radicalement du monde animal,
contribue à nous donner un statut à part dans la création en nous dotant d’un libre arbitre et du libre choix. Cette position, synthétisée par Descartes, mais qui lui
préexistait, a permis de justifier l’esclavage des noirs. Ainsi en a décidé la célèbre controverse de Valladolid (http://www.amazon.fr/Controverse-Valladolid-Jean-Pierre-Marielle/dp/B00005OT27 ): les indiens ont une âme, ils
ne peuvent donc être tenus en esclavage, les noirs n’en ont pas, on peut donc les considérer comme « des machines » et les faire travailler comme tels !...
Cette vérité scientifique est difficile à admettre pour certains. Les adeptes du « dessein intelligent », voudraient qu’une volonté supérieure (dieu) se cache derrière cette sélection et l’oriente. Ils considèrent que tout concourt à faire apparaître l’homme et, dans l’homme ce qu’il y a de meilleur.
La science n’apporte aucun argument en faveur de leur théorie, bien au contraire ! La psychologie évolutionniste, dont le
plus brillant représentant est un chercheur canadien : Steven PINKER, va même exactement à l'encontre de leurs affirmations.
Pinker, démolit trois mythes qui hantent notre culture : le mythe du bon sauvage, le mythe de la table rase et celui du fantôme dans la machine.
Le mythe du bon sauvage a été popularisé par JJ ROUSSEAU pour qui l’éducation peut tout si elle est menée d’une façon naturelle ( « l’Emile ou de l’éducation ») et que la bonté native de l’homme est pervertie par la société. En réalité, nous dit Pinker, après Darwin, l’évolution ne sélectionne ni ce qui est bon ni ce qui est mauvais mais seulement ce qui réussit. On peut la comparer aux mécanismes du marché, il ne sélectionne ni ce qui est le meilleur pour les gens ni ce qui est le plus esthétique ou le plus sain pour l’environnement, mais ce qu’ils achètent le plus !
Notre nature n’est donc ni bonne ni mauvaise, à nous d’élaborer les règles et les lois qui nous conviennent (cela, JJ Rousseau l’avait très bien compris). Cependant, ces lois et règles ne peuvent pas être arbitraires et déconnectées de notre nature humaine, sinon elles resteront sans effet (par exemple, on ne peut pas décréter que l’alcool au volant est « mauvais » et compter sur la bonne volonté des conducteurs pour s'en passer, on peut seulement imposer une loi sanctionnant un taux d’alcoolémie dépassant 50 g/l, et encore, cette loi est-elle dépendante du contexte, elle est acceptée aujourd’hui, elle ne l’aurait pas été il y a 50 ans ).
Parmi les grands mythes du vingtième siècle, l’un a soulevé l’adhésion de nombreux penseurs, particulièrement en France où
il garde encore une influence exagérée. Pour beaucoup de penseurs français nous naissons libres et égaux, non seulement de droit mais aussi de fait donc nos pensées et nos actes ne sont sont
déterminés que par notre environnement et notre éducation. L'un des précurseurs de cette pensée est J.J. ROUSSEAU pour qui l’homme est naturellement bon : « La nature a
fait l'homme heureux et bon, mais ... la société le déprave et le rend misérable. » Et l’on voudrait continuer à croire avec lui, en cette bonté naturelle de l’homme qui ne serait
pervertie que par les effets d’une mauvaise éducation. On retrouve cette illusion chez un certain nombre d’écologistes pour qui, tout ce qui vient de la nature est forcément bon et
ce qui résulte de l’industrie humaine forcément suspect ou mauvais (d’où le récent « principe de précaution » par exemple).
Dans un cas comme dans l’autre, l’erreur est profonde. La nature n’est ni bonne ni mauvaise, elle n’a que faire de nos désirs et il serait bien naïf de croire qu’il en va autrement pour la nature humaine. Ce débat a souvent été résumé sous les termes nature/culture ou inné/acquis. Entre ces deux termes, dans les pays latins, la balance a souvent penché du côté de la culture et de l’acquis. Dans les pays de langue anglaise, elle penche plutôt du côté de la nature et de l’inné. Pour ces derniers, le chercheur qui a révolutionné la conception de l’homme est DARWIN. Son ouvrage sur « l’origine des espèces » est parue en 1859. Il soutient que les espèces évoluent au cours des temps et que la sélection naturelle, opérant sur des mutations spontanées, choisit les plus aptes dans un environnement donné. Remarquons que les plus aptes » ne signifient pas qu’il s’agit des « meilleurs »...(à suivre)