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  le blog alain Barré

Un peu de poésie dans ce monde de brutes, un peu de réalité dans la poésie !

Tuer les profs = tuer l’enseignement

L'assassinat d'un enseignant, professeur d'histoire, par un islamiste, suscite une réflexion par un autre professeur d'histoire : Claude Barré. Voici sa réflexion.

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Un prof peut-il tout dire, doit-il se restreindre à son programme ?
Ou bien doit-il éveiller l’esprit critique, amener le jeune à réfléchir ? 

L’enseignant Samuel Paty était-il ‘hors limite’ en parlant, montrant des caricatures du prophète Mahomet à ses élèves de Collège ? 
Si l’on reprend les faits, l’enseignant a montré ces caricatures dans le cadre d’un cours d’Education Morale et Civique (EMC) durant  la semaine 41, pour lequel il a invité les jeunes musulmans présents à sortir du cours. Le père d’une élève -qui était absente lors du cours- est venu rencontrer l’enseignant qui lui, était soutenu, accompagné de sa Proviseure (Directrice). Le jeune qui a tué et décapité le professeur est âgé d’environ 18ans, donc en âge Lycée et non en Collège, vraisemblablement suite à des propos tenus sur les réseaux sociaux.

Au-delà des faits qui seront précisés et du jeune homme qui a tué dont nous connaîtrons mieux la personnalité et l’adhésion aux idées islamiques, l’horreur du drame choque, suspend le temps dans un halo de suffocation, de l’inimaginable accompli.
Oui, les enseignants en histoire-géographie EMC, en Français, en Arts plastiques, en Education musicale, en philosophie, en sociologie, en sciences politiques et plus largement en toutes disciplines, enseignent et à ce titre doivent éveiller les consciences, apprendre aux jeunes à exercer leur esprit critique, à prendre du recul face à un document, un texte, une vidéo, un événement, une démarche expérimentale, intellectuelle ... 
Autant ils doivent suivre un programme, autant ils ont à aborder des thèmes qui touchent à des aspects sensibles qui peuvent heurter des habitudes, des modes de pensée, des ‘certitudes’ culturelles, religieuses.... L’Ecole publique – de la République- comme celle de l’Enseignement Privé (catholique sous contrat) est parfaitement consciente des ‘lignes rouges’, du ‘jusqu’où aller’ surtout quand le public jeune ne saisit pas toujours correctement les propos de l’enseignant ou s’arrête à la perception d’un mot, d’une phrase qui l’a marqué, sans remettre le propos dans son contexte. 
C’est peut-être ce qui s’est passé, qui a provoqué le souhait de rencontre entre le père de l’élève -absente au cours- et l’enseignant S. Paty.
Comment faire comprendre en effet à des élèves de 3èmes qu’Adolf Hitler est bien arrivé légalement au pouvoir malgré un Parti de chemises brunes et des S.A. bien enclins à la violence et faisant régner l’ordre dès 1932 ? Comment leur faire saisir que cet homme au pouvoir comme Chancelier a remis l’Allemagne debout économiquement alors qu’elle était au fond du gouffre en 1930 ? (et de parler des choix économiques de relance, évidemment) ...
Comment ‘relativiser’ cet homme qui a exécuté le programme de son « Mein Kampf », déportant et faisant exécuter des millions d’hommes et femmes Juifs mais aussi opposants politiques, homosexuels et handicapés mentaux et aussi des Résistants ? Rien n’est toujours tout noir ni tout blanc. En tout il faut discerner, prendre du recul. Voilà bien un exemple qui contribue à faire prendre conscience à nos jeunes que l’on ne peut pas tout noircir ni tout excuser sans analyser préalablement.
Enseignant moi-même, j’ai enseigné les Addictions en éducation civique en ce début d’année. Comment aborder -se basant sur le manuel- les addictions aux écrans, mais aussi à la nourriture, aux jeux d’argent, à la vitesse, au dopage dans les sports etc... quand des jeunes le vivent parfois au quotidien soit en famille, soit par eux-mêmes ? 
Faut-il se taire ou faire prendre conscience ? Doit-on impérativement ne pas heurter et restreindre le contenu du cours ou pointer du doigt sans en rajouter mais que chacun puisse comprendre ? 
Comment œuvrer sur la ‘ligne rouge’ ? ou doit-on l’éviter et rester dans sa bonne conscience d’avoir fait son programme ? 
Evidemment, tout sujet de cours ne pose pas question ! Les élèves éveillés ou curieux en posent et souvent en plein cours. Certaines sont gênantes, provocantes. Si on peut les évincer un instant, il faut y revenir et là...toucher du doigt le souci... aller sur la ‘ligne rouge’. Enseigner, c’est éveiller !
Durant cette période du Covid 19, avec le confinement du printemps dernier, bien des parents ont pu s’apercevoir qu’enseigner n’est pas qu’une simple explication à donner. Il faut se faire comprendre, que le jeune saisisse vraiment, qu’il puisse reformuler ou refaire à son tour. Si les enseignants ont pu bénéficier d’une prise de conscience positive, le drame qui a touché Samuel Paty et sa famille est une véritable douche froide pour toute la profession.
L’obscurantisme est toujours là, différent d’hier ou des siècles passés mais toujours présent. S’il s’appelle aujourd’hui islamisme, intégrisme... comme ceux d’hier, il vient tenter d’imposer ses limites à ce qui peut être dit, abordé en cours car vécu comme une remise en cause de certitudes, de tabous.... 
Le prophète Mahomet comme Jésus ou Dieu, le thème des religions comme celui de la politique ne sont pas à cantonner à la sphère privée, familiale sans aucune question à se poser, à réfléchir. 
Aborder le sujet des caricatures du prophète n’équivaut pas à approuver ces caricatures de même qu’aborder les idées défendues par un Parti d’extrême droite ou de gauche ne signifie pas approuver les idées de ce Parti. Par contre l’enseignant ne doit-il pas éveiller les consciences, apprendre aux jeunes ce que montre, ce que dénature ou pointe ces caricatures et les valeurs portées par le Parti ? Cela afin que les jeunes puissent exercer leur réflexion et commencent à réfléchir par eux-mêmes.
L’enseignant prépare le citoyen-ne de demain. Ce jeune qui va voter doit pouvoir discerner, réfléchir, se poser des questions avant de placer son enveloppe. Bien souvent j’ai pu sans regret dire en cours qu’un jeune peut voter différemment du choix familial, s’il en a la conviction à l’instant du vote et dire de même que son vote est secret et donc peut ne pas être divulgué à ses proches. Ai-je franchi alors la ‘ligne rouge’ ? J’ai la ferme conviction d’avoir éveillé des consciences, posé un questionnement qui mûrira peut-être : avoir enseigné.
Comment peut-on face à cela aller jusqu’à décapiter ? L’aspect difficile de la tâche, l’espace ténu pour dire sans froisser mais pointer du doigt ce qui doit amener à réfléchir ...face à un acte d’une telle cruauté, d’une telle fermeture d’esprit. La volonté d’éveiller face à celle de faire taire, ne pas aborder ce que l’on érige en règles, dans notre pays de Libertés.  Cette liberté qu’ils ont eu d’entrer ou d’y naître, de vivre parmi nous, de jouir comme tous de leurs droits et s’ériger en Censeur de l’admis et des interdits. 
Tuer alors que même la Loi ne tue plus ! 
Ne nous leurrons pas. Aujourd’hui, nous nous insurgeons, nous compatissons, nous montrons une façade quasi unie devant l’Ennemi..... C’est certainement un temps nécessaire pour le recueillement, la compassion, le deuil.
Demain, dans nos pratiques, nos doutes quotidiens, quand le soufflé sera retombé, qu’en sera-t-il ? Le mur de l’Invincible que nous sommes prêts à ériger dès à présent, ne sera-t-il en fait que de paille, de mesures immédiates, politiquement ‘correctes’ répondant à l’instant ? Ou bien sera-t-il de Lois, de vrais Intangibles protecteurs des enseignants éveilleurs de conscience et formateurs de la réflexion ? 
Oui, enseigner n’est pas que faire apprendre des poèmes, réciter des formules mathématiques ou des verbes irréguliers ou encore faire écrire des dictées. Même pour ces apprentissages, une réflexion est possible. Enseigner est bien autre et au-delà. Il est pour le jeune jusqu’à se former lui-même, être apte à prendre ses décisions, établir ses choix politiques, sociaux, religieux.... devenir un être Libre et non contraint d’interdits de toutes parts.

Claude Barré 19 oct. 2020


 

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K
Et oui, rien n'est ni tout noir ni tout blanc, ce serait trop facile. Merci à Claude Barré. Merci à Alain Barré. ^^
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