11 Octobre 2015
Lettre de Max Ernst à Jacque Viot (août 1925) : Cher Jacques, je suis bien arrivé à Pornic, j’ai retenu une chambre à l’hôtel de France. Elle est propre mais aussi sommaire que celle de Van Gogh à Arles : un lit, une chaise, une table bancale le tout reposant sur un vieux parquet usé jusqu’à la corde ! Je me suis déclaré sous un faux nom comme vous me l’aviez recommandé et comme me l’avait conseillé également André Breton. Cela est plus prudent, les allemands n’étant pas très bien vu en France et qui plus est un allemand qui s’est opposé au pouvoir politique en manifestant contre la guerre du Rif et qui a participé au scandale de la Closerie des Lilas !
Réponse de jacques Viot : cher ami, voyager incognito n’enlève rien à votre talent et je dirais même plus, je considère que le fait d’être connu et célèbre est une faute de goût ! Je passerai vous voir dans la semaine et je vous ferai découvrir les magnifiques sentiers qui bordent la côte et la clarté légère du ciel de notre baie de Bourgneuf.
lettre de Max à Jacques Viot : En fait de légèreté du ciel, celui-ci m’est tombé sur la tête ! Il pleut sans arrêt depuis deux jours et figurez-vous que cela n’est pas pour me déplaire. Je crois même avoir fait une découverte révolutionnaire pour la peinture et profondément surréaliste. La voici résumée en quelques mots. Étant obligé de garder la chambre à cause du mauvais temps je fus frappé par l'obsession qu'exerçait sur mon regard irrité le plancher, dont mille lavages avaient accentué les rainures. Je me décidai à interroger le symbolisme de cette obsession, et, pour venir en aide à mes facultés méditatives et hallucinatoires, je tirai des planches une série de dessins, en posant sur elles, au hasard, des feuilles de papier que j'entrepris de frotter à la mine de plomb. Je vous montrerai bientôt le résultat de ces visions hallucinatoires et je serai heureux d’avoir votre avis.
Réponse de Jacques Viot : Si votre intuition se confirme, vous tenez là un formidable moyen d’aller au-delà du réel, de le transfigurer et de voir l’invisible dans le visible. Le surréalisme tel que l’a rêvé notre ami André Breton est à la pointe de votre crayon
Réponse de Max Ernst : Dès l’an prochain je pense proposer quelques dizaines d’estampes en phototypie à la galerie Jeanne Bucher.
Au plaisir de vous revoir, Jacques, je vais bientôt quitter Pornic pour regagner Paris.
Votre ami, Max Ernst